Conférence de M. Eric Hoesli : l'avenir de la presse en Suisse Romande

utorak, 26. novembar 2019. 18:30-22:30, Salle de l'Académie puis repas à l'Hôtel du Peyrou
Govornik(ci): Eric Hoesli, Homme de droit et journaliste, Eric Hoesli fut entre autre rédacteur en chef de l'Hebdo, directeur et rédacteur en chef du Temps ainsi que directeur des publications d'Edipresse.

Séance No. 22  du  26 novembre 2019

Lieu :  Salle de l’Académie puis repas à Hotel du Peyrou - Neuchâtel

Heure : 18 h 30 - 20 h 00  /  dès 20 h 00

Présidence :

Joël von Allmen

Conférenciers :

  • Monsieur Eric Hoesli, conférencier du jour
  • Madame Nathalie Randin von Allmen, animatrice du débat

 

Bulletinier :

Edmée Rembault

Compte rendu Conférence de Monsieur Eric Hoesli

L’avenir de la presse en Suisse Romande

En l’absence du président François Burgat, Joël von Allmen, past-président salue les membres du club, leurs conjoints et leurs invités, ainsi que les membres des autres clubs qui nous ont rejoints (voir liste des présences).

Joël remercie Jacques Rognon qui est à l’origine de cette conférence, et présente Monsieur Eric Hoesli, notre conférencier. Titulaire de nombreux diplômes dont une licence en droit de l’université de Lausanne et un post-grade à l’Institut des hautes études internationales et du développement de Genève, Monsieur Hoesli a commencé sa carrière à la rédaction de l’Hebdo. En 1997 il a été approché pour fonder le journal Le Temps, et en est devenu le rédacteur en chef. Il a été ensuite directeur de la presse régionale du groupe Edipresse. En parallèle, Monsieur Hoesli a mené diverses recherches en ex-URSS et dans le Caucase, et a écrit sur le sujet un grand nombre d’articles et livres pour lesquels il a reçu de nombreux prix. Actuellement membre de différents conseils d’administration, Monsieur Hoesli est également depuis 2014 professeur titulaire à l’EPFL de la chaire « Changing arctic », qui aborde avec les élèves des questions environnementales.

Monsieur Hoesli commence sa conférence par un état des lieux, rappelant qu’en 1970 la Suisse romande comptait 1.4 mios d’habitants et qu’on y trouvait 20 journaux quotidiens tandis qu’en 2019, il y a plus de 2 mios d’habitants mais seulement 11 journaux quotidiens.

Malgré les processus de concentrations en cours, il y a de nos jours 1 mio de lecteurs de quotidiens payants en Suisse romande et 400'000 lecteurs réguliers du journal gratuit 20’. Les publications numériques sont lues par 15 à 40% du lectorat, selon le type du journal. Monsieur Hoesli considère la Suisse romande comme un paradis de la presse écrite, et c’est dû à différents facteurs :

  • La curiosité intellectuelle des Romands
  • La prospérité économique dans les régions
  • La diversité politique et géographique
  • L’héritage protestant : le taux de lecture est sensiblement plus élevé (5-8%) en Suisse romande qu’en France, où l’information passe par d’autres médias
  • L’excellent réseau d’infrastructure : la Poste suisse est rapide et efficace.

 

Avec l’avènement du numérique, Monsieur Hoesli voit que « Le monde s’étend, et les médias rétrécissent ». Il attribue ce phénomène à 4 facteurs :

  • Technologique
  • Économique
  • Sociétal
  • Ethique

 

  1. Technologie : Avec la numérisation et l’essor du web et des réseaux sociaux, le phénomène est un bouleversement plus important qu’une révolution industrielle. C’est à voir comme une étape, comparable à l’apparition de l’écriture ou aux débuts de l’imprimerie. Le rôle de l’imprimerie a été essentiel pour accélérer la transmission des informations. Dans le cas présent, la numérisation a également changé le niveau d’accessibilité de l’information, la démultiplication des savoirs, mais on assiste d’un autre côté à un cloisonnement de l’information. Les utilisateurs sont surveillés, et on leur offre l’information que l’on veut, ils se trouvent dans une bulle.
    1. La vitesse : La numérisation permet d’aller plus vite, mais en réalité, on passe plus de temps à répondre à des e-mails, à vérifier des informations.
    2. Il y a des fractures générationnelles, il y a des fakes news, et des fake narratives (manière erronée de rapporter un fait réel).
    3. Les utilisateurs regardent le monde à travers la bulle, ils ne regardent plus le monde eux-mêmes, par économie de temps.
  2. Economie : En 2009, la publicité dans les journaux payants représentait un chiffre d’affaire de 2.4 miards CHF par an. En 2017, seulement 1.1 miards CHF par an. Le système fondamental de la presse est à terre. Autrefois, on vendait le lecteur aux annonceurs, les journaux ne gagnaient pas beaucoup d’argent dans les abonnements. Actuellement, il a fallu augmenter le prix des abonnements pour compenser les pertes. Le prix du contact est 10 x moins élevé sur le modèle numérique que sur le modèle papier. Le marché de la presse est divisé de la manière suivante : 75% Tamedia, 13* Hersant – Suisse, 6 % Ringier. Cela implique aussi des concentrations sur les imprimeries et sur les entreprises de distribution.
  3. Société civique et politique. Le rayon d’influence d’un journal était autrefois le rayon de distribution des PTT. Actuellement, il n’y pas de limite autre que la langue. Les journaux évoquent de moins en moins les actualités du Grand Conseil, qui sont ennuyeuses, et abordent tout au plus les nouvelles du Conseil d’Etat. On assiste à une érosion institutionnelle, et le civisme est en baisse, tombe dans l’obsolescence, et c’est une menace sur le lien fédéral et sur la capacité d’échanges entre les Suisses et entre les Romands. Enfin, les articles sont peu diversifiés, un nombre croissant d’entre eux sont partagés entre les médias.
  4. Contenu et éthique. La profession de journaliste a baissé. Aux Etats-Unis, en 1974 (Watergate), les Américains avaient confiance à 70% dans les médias. Actuellement, leur confiance ne s’élève plus qu’à 10%. Les rédactions ont moins de ressources, les journalistes sont moins nombreux, ont moins de compétences et moins de mémoire. Lorsque les autorités expliquent un concept / un projet, à chaque étape, c’est un autre jeune journaliste qui couvre l’actualité => il a de la peine à évoquer les tenants et les aboutissants. Actuellement, les éditorialistes n’ont plus nécessairement de fil conducteur dans leur vision du monde. Ils peuvent changer de discours à 180° sans la moindre explication, alors qu’autrefois, ils auraient clairement expliqué pourquoi ils avaient changé d’opinion sur un sujet ou un autre. Au niveau des contenus, il y a de la concurrence des réseaux sociaux, et également une grande globalisation : on connaît maintenant la vie des stars américaines mieux que celle des « people » zurichois. Certaines modes et certains discours se globalisent telles qu’Halloween ou les anti-spécistes. Au niveau du contenu, les journalistes cherchent actuellement à convaincre plus qu’à expliquer. Au lieu de simplifier les faits, l’approche est moralisatrice : ce sont les bons vs les méchants. Les règles d’éthiques et le droit ne sont pas toujours respectés.

 

Le constat est donc noir, on assiste à un affaiblissement plus rapide de la presse en Suisse romande qu’en Suisse allemande. Cela représente une attaque contre le lien fédéral. Si rien ne se fait, la Suisse romande vivra le destin de la Franche Comté, où on ne trouve plus qu’un journal quotidien et un journal dominical.

Solutions

  1. Les élites. La réouverture d’un débat est souhaitée. Jusqu’où la presse est-elle un service public, un bien public. A la base, l’intervention de l’Etat dans cette sphère n’est pas souhaitée, mais l’Etat pourrait contribuer indirectement, par ex. par l’ATS
  2. L’investissement dans l’innovation. Le maintien du vieux monde fait partie du problème. Certains médias tels que Heidi.news ont apporté des solutions très novatrices.
  3. Une autocritique du métier. Les journalistes devraient s’interroger, et se contraindre à quelques critiques.

 

Madame Nathalie Randin introduit la partie « discussion » de la conférence, en rappelant que la télévision aussi est touchée par le changement numérique. En effet, les moins de 30 ans ne regardent pas non plus du tout la télévision. M. Hoesli dit que ses étudiants ne lisent plus de papier, et s’informent que par les réseaux sociaux. Mme Randin signale qu’à sa connaissance, 40% des Américains s’informent exclusivement par Facebook. M. Hoesli rappelle la montée de Facebook en Afrique, mais est conscient qu’il y a d’autres acteurs. Mais il a l’impression que le monde politique va peu à peu mettre des limites aux réseaux sociaux.

Question : Faut-il que la presse soit subventionnée par l’Etat, par exemple en recevant une part de la redevance.

M. Hoesli se pose la question de savoir si, à la SSR, qui reçoit la redevance, tout est réellement «service publique ». A l’inverse, dans les journaux locaux, lorsqu’un membre de la rédaction suit les discussions tenues à Berne, ces journaux rendent un service public. Mais M. Hoesli ne pense pas qu’il faille accroître l’importance de la presse écrite en utilisant le budget de la SSR. Il fait une comparaison avec ce qui se passe en Belgique : la presse flamande est toujours assez diversifiée, mais en Wallonie, la presse est relativement étatique, et elle a de ce fait perdu en qualité, en crédibilité et en indépendance.

M. Hoesli voit des pistes dans l’amélioration de la distribution des journaux, dans le soutien à l’innovation, dans le soutien de réseaux nationaux comme l’ATS, et il appelle de ses voeux l’esprit d’entreprise des romands pour la reprise des titres existants.

Question : que peut-on dire du taux de lecteurs, et de la force de la presse alémanique.

M. Hoesli considère que les tirages sont plutôt bons, le taux de lecteurs est plutôt élevé, il rappelle qu’en France, Libération a plutôt un petit tirage et une petite audience. Les chiffres les plus élevés sont trouvés en Scandinavie, en Allemagne (toujours la culture protestante de la lecture), et au Japon.

Pour la force de la presse alémanique : Monsieur Hoesli rappelle qu’autour de Zürich, il y a un bassin de population très fort. Un bassin qui permet d’avoir une rédaction plus importante, en termes de nombres d’articles par jour et par semaine. Et il ne faut pas oublier la concentration des médias au niveau international aussi : en Suisse, lorsqu’on parle avec Ringier, on doit rapidement appeler Springer à Berlin. Le cas de Tamedia est différent, puisque cette entreprise cherche une plus-value dans le domaine de la publicité, en vendant de la publicité sur des sites spécialisés. Grâce aux regroupements d’activités, Tamedia connaît les consommateurs, et les vend aux annonceurs : Tamedia sait quel livre on a commandé, quelle voiture on cherche (sur internet), quelle maison on souhaite acheter, etc.

Donc, dans le cas de Tamedia, les médias papiers sont en chute, et ne rapportent pas beaucoup, et le bénéfice se fait dans le domaine de la publicité.

Question : Au vu des équilibres suivants : dans quel schéma se situe Tamedia, selon M. Hoesli ?

  1. Stratégie boursière avec un domaine « publicité » qui rapporte et un titre qui ne rapporte pas
  2. Journaux qui acceptent une rentabilité moyenne
  3. Philanthropes qui soutiennent un journal, mais veulent pouvoir récupérer de l’influence.

 

M. Hoesli évalue que dans le cas de Tamedia, il y a un attachement au titre du journal. Mais il ne faut pas négliger les aspects pratiques et économiques : le jour où de grands investissements dans un journal sont nécessaires, il faut tenir compte des contraintes économiques. Mais il rappelle que dans certains cas, la presse est soutenue par exemple par des fondations qui voient que l’enjeu dépasse le secteur de la presse.

Question : Certains anciens de la presse écrite estiment qu’actuellement, avec les regroupements des titres, et les rachats par de grands groupes, la presse écrite n’est plus qualitative, ni crédible.

M. Hoesli a une autre vision des choses : il souligne la mission de service public qui est poursuivie par les journaux locaux, et la qualité des rédacteurs, malgré la pression. Il est d’accord avec les anciens de la presse écrite sur le fait que la collecte d’information s’est atomisée, chaque citoyen est à la fois un collecteur d’informations et un donneur d’information (par le suivi des habitudes de consommation, entre autres). Il plaide pour un arrêt de la course à la vitesse, et pour une qualité des articles, même s’ils paraissent plus tardivement. Selon lui, les journalistes devraient être plus modestes et plus utiliser les expertises locales, et moins asséner des opinions qui sont convenues et vont toutes dans la même direction. Il voit l’importance d’être autocritique. Il dit qu’il sait lui-même combien il est difficile de reconnaître des erreurs, mais il pense qu’il ne faut jamais cesser de se poser des questions.

Mme Randin demande ce qu’il pense de la Charte d’Ecologie du journal Le Temps pour les candidats au Conseil National, ou de la BBC qui a invité Greta Thunberg à être rédactrice pendant 1 journée. M. Hoesli considère que dans ce cas, Le Temps touche à la politique, et en devient acteur, et qu’à son avis, ça n’est pas adéquat. La presse devrait (se) poser des questions : par ex. quelles sont les projets de la Chine par rapport au réchauffement climatique ? quel est le portrait du 1er ministre chinois, etc. Il souhaiterait que les journaux nous renseignent mieux, de façon mondiale.

Mme Randin s’interroge sur le rôle joué par la presse dans les « affaires » des politiciens MM. Maudet, Broulis, Mme Garnier, etc. M. Hoesli se demande à partir de quand ce sont de vraies « affaires », et quelles sont les barrières du devoir de réserve, qui devraient être observées par le ministère public. Il trouverait plus constructif que la presse s’intéresse plus aux projets de ces politiciens. Il se demande si ces affaires ne sapent pas la base politique, et imagine qu’elles réduisent la marge de manœuvre des politiciens. Il ne veut innocenter personne, mais se demande si cela sert vraiment l’information.

Mme Randin rappelle qu’autrefois, il y avait les journaux d’opinion, et les presses à scandale. M. Hoesli lui signale qu’actuellement, il y a des émissions d’information critique qui sont de très bonne qualité, telles que Forum ou Tout un monde.

Question : que s’est-il passé avec l’idée d’un grand quotidien de l’Arc Jurassien. Quid d’un journal supra-cantonal ?

M. Hoesli dit qu’avec le recul, il a remarqué que c’était une fausse bonne idée. L’Arc Jurassien a une tradition d’excellence, et à l’époque, on considérait qu’il était marginalisé par rapport à l’Arc Lémanique. Mais l’Arc Jurassien est composé d’éléments assez hétérogènes, tels que le Jura, le Jura Bernois, Neuchâtel, et le Jura Vaudois.

Pour conclure, Madame Randin demande si l’information deviendra un immense supermarché. M. Hoesli imagine que c’est à craindre, et qu’en plus, on devra « prendre ce qu’on nous donne », ce sera un supermarché automatique. L’information sera cloisonnée, selon ce qu’on achète, selon nos recherches sur internet, etc. M. Hoesli est d’avis que la fonction des médias est d’empêcher que ces murs se ferment.

Edmée Rembault, le 29.11.2019

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